tablette
tablette d’Idalion
"Tablette inscrite en écriture chypriote"
Asie occidentale, Chypre (lieu de création)
entre 478 av JC et 470 av JC
bronze
H. 14,2 cm, l. 21,5 cm, E. 1,1 cm
Cette tablette à poignée mobile est gravée sur ses deux faces d’une inscription, écrite de droite à gauche, en caractères syllabiques chypriotes, la plus longue inscription connue dans cette écriture (face A : 16 lignes ; face B : 15 lignes). Il s’agit d’un décret passé entre Stasikypros, roi de la cité d’Idalion (moderne Dali, Chypre), et le médecin Onasilos et ses frères. Le roi et la ville s’engagent à régler les honoraires médicaux pour les soins apportés aux blessés lors du siège de la ville par les Mèdes (Perses) et leurs alliés, les Phéniciens de la cité de Kition, sur la côte sud-est de Chypre (actuelle Larnaca), dans les années 478-470 av. J.C. Au lieu d’un paiement en argent, le médecin recevra plusieurs terrains appartenant au roi, dont la possession lui est assurée à perpétuité, pour lui et ses descendants.
La tablette avait été déposée dans le temple d’Athéna, sur l’acropole de la cité, qui fut probablement détruit peu d’années après, lors de la prise de la ville par les Phéniciens de Kition. Découverte fortuitement en 1850 par un paysan, elle fut acquise par le duc de Luynes, archéologue et savant, qui travaillait au déchiffrement de l’écriture chypriote, écriture qui note, non une langue inconnue comme il le croyait, mais un dialecte grec, apparenté à l’arcadien. Il faudra attendre la découverte d'une inscription bilingue phénicienne-chypriote trouvée à Idalion, pour la déchiffrer.
Longue de 31 lignes, la tablette offre plus de 50 signes différents, ce qui en fait une des sources les plus importantes sur la langue et l’écriture chypriotes à la fin de l’époque archaïque. Le syllabaire chypriote, en usage du 11e au 4e siècle avant J.-C. dans l'île de Chypre, dérive du linéaire A mais note un dialecte grec. L'écriture utilise 56 signes qui représentent généralement une syllabe.
C’est l'un des rares documents sur l’organisation d’une cité-royaume à Chypre, organisation politique, religieuse, spatiale, économique et sociologique. Elle témoigne que le roi n’est pas un monarque absolu de type oriental, mais gouverne en accord constant avec la cité, ce qui évoque le système grec, de même que l’usage de dater un décret par le nom d’un archonte, ici Philokypros. La déesse protectrice de la cité est Athéna, à qui sont consacrés deux temples : l’un sur l’acropole, où fut déposée la tablette, l’autre en dehors des murs. Le temple de l’acropole fut détruit peu d’années après, lors de la prise de la ville par les Phéniciens de Kition, probablement vers 470, selon les témoignages archéologiques. Les indications d’un découpage extrêmement précis des terres suggèrent l’existence d’un véritable système cadastral, certains terrains appartenant au roi, d’autres à des citoyens. Bien que les terrains donnés appartiennent au roi, la donation nécessite l’accord de l’ensemble des citoyens.
Enfin la tablette offre le plus ancien témoignage sur le statut d’un médecin dans une cité. L’importance du salaire montre à la fois la considération accordée aux médecins et la difficulté d’en trouver dans une situation d’urgence. Le salaire est estimé en argent un talent, à quoi s’ajoutent, pour Onasilos seul, quatre haches d’argent et deux doubles mines d’Idalion, mais il est donné en terres, avec deux privilèges d’importance : le droit héréditaire sur ces terres – une pour la famille entière, une pour Onasilos seul -, et l’exemption d’impôts. Si le nom d’Onasilos est courant à Chypre, il semble que le médecin n’était pas originaire d’Idalion, puisque la cité l’embauche à un tel prix, dans des conditions qui, contrairement à un paiement en argent, l’attachent à la cité de façon durable. La transmission du savoir médical se faisant de père en fils, comme le montre ici le fait que Onasilos et ses frères sont tous médecins, la cité peut ainsi s’assurer la présence d’une lignée de médecins.
Il est difficile de dater précisément la tablette. Le contrat a été rédigé après un siège infructueux de la cité qui peut faire allusion au soulèvement des cités chypriotes contre les Perses et leurs alliés, les Phéniciens, en 499/98, ou bien à l’intervention des armées perses et de leurs alliés, consécutive à l’expédition grecque dans l’île en 478. L’octroi d’avantages héréditaires aux médecins indique que le danger semble écarté et que la cité a retrouvé sa stabilité et conservé encore un moment son indépendance. Le terminus ante quem est donné par les témoignages archéologiques de la destruction du temple d’Athéna où était déposé la tablette, vers 475-470 avant J.-C., peut-être trace d’un autre conflit avant que les Phéniciens de Kition n’occupent définitivement Idalion vers 450 av J.-C.
L’analyse métallographique a montré que la tablette était constituée de cuivre presque pur (96.5 % de cuivre, 2.4 % d'étain et 0.8 % de plomb), rappelant la source principale de richesse de Chypre, les mines de cuivre des Monts Troodos.
Georgiadou, Anna. "La tablette d'Idalion réexaminée". Centre d'Etudes Chypriotes, cahier 40, p.141-203.
Collection : null
Numéro dans la collection : null
Art antique de Chypre au Cabinet des Médailles. BnF, 1994, pp. 62-63.
Egetmeyer, Markus. "Zur kyprischen Bronze von Idalion", Glotta 71. p.39-59.
Masson, Olivier. Les inscriptions chypriotes syllabiques. Paris : de Boccard, 1961, p.233-244.
Babelon, Ernest, Blanchet, Jules-Adrien. Catalogue des Bronzes Antiques de la Bibliothèque nationale. Paris : 1895, p.704-706.