alabastre
Vase des Saisons
"Saisons"
Italie, Latium, Rome (lieu de création)
entre 25 av JC et 25
pied :
17e siècle
col :
20e siècle
romain impérial
verre (bleu et blanc, à deux couches, verre camée)
métal doré (émaillé, pied)
H. 13,9 cm
H. 16,6 cm, D. 3,2 cm (avec pied)
Alabastron en verre à deux couches, bleu et blanc. Le pied, en métal doré émaillé de bleu à filets blancs, et le goulot en résine blanche sont des restaurations, ainsi que deux fragments en résine translucide dans le haut de la panse.
Ce petit vase à parfum de forme allongée et élégante est un des plus beaux exemples de verre-camée et un chef d’œuvre de la verrerie antique d’époque augustéenne, tout empreint encore de réminiscences de l’art hellénistique.
Le décor, organisé sur trois registres, apparaît en relief en blanc, sur un fond d’un beau bleu cobalt translucide. Une frise de trois bucranes, d’où pendent des rubans, reliés par des guirlandes de feuilles et de fruits, entoure la partie supérieure de la panse. Sous chaque bucrane, est disposée une figure féminine debout, drapée, marchant vers la droite. Les attributs ont permis d’identifier trois des Horai, les Saisons. Une frise inférieure de rinceaux légers et de fleurs est délimitée par deux bandeaux en relief, dont celui du haut forme la ligne de sol des figures. Les rinceaux émergent des feuilles d’une fleur de lys placé sous la figuration du Printemps, une gracieuse jeune femme, saisie en plein mouvement, la tête retournée en arrière, accompagnée d’un chevreau dressé contre ses jambes, élevant un panier rempli de fleurs. Derrière elle, l’Eté, aux formes plus pleines, les cheveux relevés et entourés d’une double bandelette, tient un bouquet formé de deux épis de blé et d’une fleur de pavot. A sa suite, la tête gracieusement inclinée, les cheveux relevés en un haut chignon, l’Automne retient des deux mains un pan de tissu empli de grenades et de raisins.
Des figurations comparables des Saisons apparaissent sur divers objets d'époque augustéenne : des plaques Campana, de la céramique arétine (ainsi un cratère en sigillée, conservé au British Museum , produit par l’atelier arétin de Cnaeus Ateius, daté entre 20 BC et 20), ainsi que sur une intaille en pâte de verre de Berlin. Un siècle plus tard, un sarcophage de marbre de la villa Albani (inv.131), qui déroule à son flanc le cortège des noces de Thétis et Pélée, reprend les mêmes figures. L’abondance de ces représentations sur des supports différents, marbre, verre, terre cuite, fait supposer l’existence d’un prototype célèbre, probablement d’époque hellénistique, sur ce thème nuptial. Selon M.T. Marabini, ces représentations seraient l’écho de la grande procession organisée par Ptolémée II à Alexandrie en 278 av. J.-C., où Penteteris, allégorie du temps, correspondant à cinq années, précédait les Horai.
La forme de ce petit vase est unique dans le corpus des verres-camées, que l’on pense produits à Rome entre 25 av. J.-C. et 50 ap. J.-C. Seuls douze vases complets sont connus, mais une soixantaine de fragments attestent l’existence de vases de formes fermées, telles que bouteille, œnochoé, amphore. Ici, il s’agit d’un alabastron à panse très allongée, qu’il faut imaginer avec un fond arrondi, sans pied. La forme se retrouve dans d'autres vaisselles de luxe, comme des verres à bandes dorés de la fin de l’époque hellénistique.
La technique du verre camée est complexe. Une fois le vase mis en forme, par soufflage ou coulage dans un moule, le verrier insère à l’intérieur une paraison d’un verre d’une autre couleur, bleu ou pourpre foncé généralement, qu’il va souffler pour l’appliquer à la première couche, blanche. Ceci implique une date postérieure au milieu du 1er siècle av. J.-C., époque à laquelle on fixe l’invention du verre soufflé au Proche Orient. La couche extérieure est ensuite gravée à la main selon la technique du camée, probablement par des graveurs de gemmes. Le temps nécessaire à la gravure d’une pièce complexe, comme le vase Portland, est évalué à environ trois mois, entraînant donc un coût très élevé. La fabrication d’un verre à deux couches est également longue et complexe, et nécessite une grande dextérité. En effet, les deux couches de verre doivent avoir les mêmes coefficients de dilatation et d’élasticité afin de prévenir toute casse ou craquelure durant le refroidissement ou le travail de gravure.
L’histoire de ce vase est connue grâce à Claude Fabri de Peiresc, savant provençal, grand collectionneur de pierres gravées, de monnaies et d’antiques. Dans une lettre adressée à Claude Ménestrier, bibliothécaire du Cardinal Barberini à Rome, Peiresc décrit un vase antique « de verre bleu avec trois figures seulement en camahieu d’émail blanc de lait […] accompagnées de tant de festons et d’enrichissements, et le tout de si excellente manière […]. On (le) dit venu de Rome». Cependant Anne de Rulman (1582-1632) rapporte qu’à Arles, en 1622 « on déterra un tombeau où était une belle urne d’albâtre de 2 pieds de haut avec des lampes, des vases, des patères, des lacrymatoires et autres pièces. Il s’y trouva aussi une urne de verre bleu, avec son couvercle de même et un lacrymatoire aussi de verre bleu avec trois figures d’émail blanc, qui étaient très bien dessinées ». (Inventaire particulier des histoires et des antiquités de Nîmes depuis NEMAUSUS qui la fonda, livre 5, récit 59; manuscrit cité par Ménard, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nismes avec des notes et les preuves, vol. 7, Paris, 1758). Considérant la rareté des verres camées, notamment de cette forme, il est vraisemblable qu'il s'agit de celui-ci.
Le vase est ensuite acquis par Gaston d’Orléans (1608-1660), frère du roi Louis XIII, ainsi qu’en témoigne une autre lettre de Peiresc dans laquelle il demande le dessin ou l’empreinte d’ « un larmoir du cabinet de Monsieur, frère du Roy, d’émail bleu, mais enrichi de figures blanches en formes de camayeul ». Ce dessin, rehaussé d’aquarelle, est aujourd’hui conservé au département des Estampes de la BnF, dans un recueil de dessins du Cabinet Peiresc. Le pied, en or émaillé, est déjà représenté -il s'agit donc d'une restauration du 17e siècle- mais le col est intact, avec un décor de fines moulures.
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